Romance, chauvinisme, appelez cela du nom que vous voudrez,
cette poésie au sucre ou à la poudre, désolez-vous de sa niaiserie et de
son mensonge. Encore une fois, cette qualité inférieure est du fait de ceux
qui osent prendre la parole et non de ceux qui l'écoutent. C'est la vile
séduction des fillettes qui s'exprime par la voix du ténor lorsquil rou-
coule la chanson des nids, qu'il excite aux promenades par l
la lisière des bois, lorsqu'il fait les étoiles complices des chutes, des aban-
dons, des infanticides et des prostitutions, C'est la servitude que préche
le baryton lorsqu'il excite la multitude à se ruer aux champs de bataille,
les peuples à supprimer les peuples, et qu'il donne à adorer le cheval
cabré du conquérant, le panache et le sabre.
les champs, à
Mais le frisson qui parcourt les malheureux à l'écoute, bouche
bée, le ceur battant, ce frisson n'a rien de vil, c'est par des mots géné-
reux qu'il est provoqué, c'est par la croyance à quelque motif vague et
proclamé supérieur. En même temps qu'elle est réaliste, cette foule est
idéaliste, elle est l'exacte représentation de l'humanité, et elle n'a pas
cessé de croire aux mots. Coupables sont ceux qui prononcent ces mots
sans y croire, qui les maquillent, qui les galvaudent, qui les érigent en
raison sociale, qui les trainent aux mauvais lieux. Ecrivains sadiques ou
roucouleurs de romances, patriotards de tribune parlementaire ou de
scène de café-concert, c'est la même race exploiteuse de la crédulité.
Mais l'amour est tout de même l'admirable et profond sentiment, la poésie vitale, et la patrie, annonciatrice d'humanité, le lien
le plus fort, l'agrandissement de la famille, l'unité de langage, la création d'idées et de chef-d'euvres, la preuve d'une pensée
d'avenir, l'affirmation de la survivance. Que la foule tressaille à ce mot d'amour et à ce mot de patrie, quel que soit le tintamarre
qui les accompagne, qui songera à lui reprocher ce tressaillement ?